L'histoire de l'abolition de l'esclavage à Saint-Barthélemy... that Consummation which is this day proclaimed to the World, Ce sont là les termes utilisés dans la lettre de reconnaissance signée des « émancipés de la Ville (i.e. de Gustavia) » et adressée au Gouverneur suédois de Saint-Barthélemy en ce samedi 9 octobre 1847. Les « émancipés de la Campagne (i.e. du reste de lîle) » en auront fait autant ; les voilà, tous, enfin, "libres"... -----------------------------------------------------------------------------------------------
Marie Françoise, 523 ème et dernière esclave émancipée (9 octobre 1847)Elle se dénomme Marie Françoise, dite Mélanie, déclarée née à Saint-Barthélemy et âgée de 35 ans, ses « General conduct and character » ainsi que ses « Health Strenght and ability to work » ont été jugés « Good » ; il a été procédé à son évaluation à la demande de son propriétaire, M. Edouard Garin [Garrin], qui en demandait 120 $ (Spanish dollars / idem Gourdes courantes). Elle sera finalement évaluée à 100 dollars espagnols par le « Gradual Emancipation and Slave Appraising Committee [Comité dÉmancipation graduelle et dÉvaluation des Esclaves] » : son propriétaire sen déclarera « content ». Elle est la 529ème et toute dernière esclave à avoir été évaluée à Saint-Barthélemy en ce 8 octobre 1847. Déduite une « Slave contribution [Contribution de lesclave] » à hauteur de 16 dollars espagnols, cest en fin de compte une compensation de $ 84 que son propriétaire recevra dès le lendemain pour le rachat de son bien. Pour être tout à fait exact : aucune mention navait été portée le jour de lévaluation, le 8, dans la colonne « Slave contribution », tandis que le 9, jour de compensation pour le propriétaire et daffranchissement pour son esclave, il fut renseigné dans cette même colonne : « $ 16 amount given up by owner. »... et Marie Françoise de devenir la 523ème et dernière esclave de Saint-Barthélemy à être affranchie le 9 octobre 1847. Le cas de cette femme, les raisons de ses évaluation et émancipation tardives, sur lesquels nous reviendrons plus loin, étaient tout à fait symptomatiques de toutes les difficultés rencontrées alors pour se défaire du statut social desclave. -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
La situation des esclaves de Saint-Barthélemy à la veille de l'abolition (partie I)Pour parvenir à ces fins, la Suède avait donc décidé de dédommager les propriétaires et ainsi de racheter la liberté des esclaves dans son unique colonie. Dans un texte que Victor Schœlcher fit paraître dans la « revue indépendante » le 10 janvier 1847, et que le Comité de Liaison et dApplication des Sources Historiques a intégralement retranscrit ici : « ABOLITION DE LESCLAVAGE dans lîle suédoise de Saint-Barthélemy », labolitionniste, tout en se lamentant des lenteurs françaises en la matière, cautionne « le principe de l'indemnité qui sera sans doute admis pour labolition française : une réserve fort sage qui devra nous servir de modèle » et y justifie ainsi lindemnisation des maîtres : « Quelque répugnance que l'on éprouve à indemniser un possesseur d'hommes pour lui arracher ses victimes, cela, cependant, nous paraît juste; car, à la honte éternelle de la civilisation, la loi ne lui a pas seulement permis d'avoir des esclaves, elle l'a encouragé même par des primes à s'en procurer le plus possible. (...) la société doit réparer ses crimes; » Tout dabord "initiée" dans une « Lettre Gracieuse » en date du 6 avril 1835 (ou 1836 ?) à lattention des « États Généraux du Royaume », sous linfluence du « changement radical survenu aux Indes Occidentales en raison de lheureuse décision du Gouvernement anglais », il faudra néanmoins attendre septembre 1840 pour que le "parlement" suédois (les États Généraux...) saisisse lopportunité dun débat sur le statut juridique de lîle, pour aborder la question sensible de labolition de lesclavage à Saint-Barthélemy. Ces discussions au dit "parlement", qui seront en fait au nombre de deux, ont fait lobjet dune étude par M. Birger Tommos dans le cadre dune présentation au département Histoire de luniversité de Stockholm, au printemps 1987 : « "Slaveriets avskaffande på S:t Barthélemy" Argument i den Svenska Riksdagsdebatten. ["Abolition de lesclavage à Saint Barthélemy" Argumentation dans les débats au Parlement Suédois] » et qui servira ici pour en rappeler très succinctement les grandes lignes. Deux motions en tous points identiques seront dans un premier temps adoptées par les Chambres des Bourgeois et du Clergé, dès septembre 1840; considérant « quil serait digne des États du Royaume dexprimer le souhait que la fin de lesclavage dans la seule colonie de la Suède et que les moyens pour atteindre ce but soient tous deux préalablement lobjet dune telle attention bienveillante », ces motions formulent au Roi de commander une enquête sur létat de lesclavage dans lîle de Saint-Barthélemy et sur les moyens utiles à labolition de celui-ci. Après examen par le « Allmänna Besvärs- och Ekonomi utskottet [General Appeal- and Economical Committee] », la première discussion (en session 1840-1841) se ponctuera par une lettre commune des quatre Chambres du "parlement" / États Généraux (Paysans et Noblesse en plus des deux déjà citées) à lattention du Roi de Suède, datée du 30 avril 1841, approuvant labolition de lesclavage à Saint-Barthélemy et lexhortant à mettre tout en œuvre pour son accomplissement : « Adress of the Swedish Diet to His Swedish Majesty, respecting the Abolition of Slavery in the Island of St. Bartholomew. Alors sollicité par le Roi de Suède dans une « Dépêche Gracieuse » signée du 13 octobre 1840, arrivée le 22 décembre un Atlantique plus loin, le Gouverneur suédois de Saint-Barthélemy, James Haarlef Haasum, ne répondra que trois mois plus tard : lîle est alors en proie avec une épidémie de fièvre maligne particulièrement dévastatrice, et le gouverneur lui même sen trouve « accablé ». Son « Très humble rapport N° 177 », en date du 29 mars 1841, constitue un "témoignage" exceptionnel à plus dun titre et qui a pour la cause été intégralement retranscrit par le Comité de Liaison et dApplication des Sources Historiques. Il semble néanmoins à peu près clair que ce ne soit pas ce rapport précis qui servira avant tout de guide à labolition de lesclavage à Saint-Barthélemy, mais plutôt une lettre du même Haasum en date du 9 juin 1842, soit plus dune année plus tard, adressée au Département colonial directement de Suède où le gouverneur suédois avait obtenu permission de se retirer afin de se rétablir de ses nombreuses rechutes fiévreuses, mais dont le contenu reprend en grande partie celui de ce même très humble rapport N° 177... -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
La situation des esclaves de Saint-Barthélemy à la veille de l'abolition (partie II)Nous noterons dabord la mention, en toute fin de rapport, dune Ordonnance Royale « quon a publié dans les Iles Danoises vers la fin de lannée passée, concédant le droit à lesclave dacquerir sa liberté moyennant une compensation pour sa valeur au propriétaire, passant les principes pour la fixation de cette valeur comme pour lexpropriation de lEsclave en général et limitant le droit de punition » et que la demande du gouverneur « dadopter quelques uns de ces paragraphes, modifiés selon les circonstances qui ne ſont pas identiques avec celles des Iles Danoises dans le cas que lémancipation sera retardé même pour longtemps dans cette Ile » sera suivie dune « Ordonnance de Sa Majesté le Roi de Suède et de Norvège, relative à l'amélioration de la condition des esclaves à Saint-Barthélemy », en date du 6 septembre 1842 (Nota Bene. Il sagit bien de la même Ordonnance commentée, mais datée à tord du 14 octobre 1843, dans le texte de Victor Schœlcher). Dans son très humble rapport N° 199 du 19 décembre 1842, le Gouverneur suédois informera avoir fait promulguer à Saint-Barthélemy par une proclamation du « 1er courant » cette Ordonnance Royale « réglant les droits et les devoirs des esclaves », et saluera cette « mesure philantropique » tout en « espérant que les États Généraux à laſsemblée prochaine voudront bien la completer en accordant la somme nécéssaire pour leur emancipation. » La description donnée des esclaves de Saint-Barthélemy en 1841, « meilleur que celle de la même claſse dans toutes les autres Iles (...) et (...) encore sous certains rapports à celles de population laborieuse, recemment affranchie des Colonies Anglaises et même de quelques pays en Europe », bien que loin dêtre encore "idyllique" à la lecture entière du dit rapport, retiendra avant toute chose lattention en Suède et occupera une place centrale dans les débats qui suivront au "parlement" (session de 1844-1845) dans la mesure où le Gouverneur Haasum posait comme condition indispensable que les esclaves soient rachetés à leurs propriétaires et renseignait pour somme globale à débourser une fourchette de Ctes $ 97538 à $ 121650 (exprimée en Gourdes courantes / idem Spanish dollars / change : 1 "Gourde ronde" vaut 1,25 "Gourdes courantes"). Suède ; et manifestement le contenu de cette lettre nest pas tout à fait le même puisquà titre dexemples les informations fondamentales suivantes tirées de lanalyse de M. Tommos napparaissent pas dans le rapport N° 177 retranscrit et cité ici : Arguments avancés par James Haarlef Haasum pour justifier du dédommagement des maîtres :
Proposition des deux solutions suivantes pour lindemnisation des propriétaires :
Le Gouverneur Haasum était à cette époque rentré en convalescence en Suède, doù il a donc rédigé cette lettre, probablement en suédois, à lattention du Kolonialdepartementets ; lintérim était alors assuré à Saint-Barthélemy par M. Carl Ulrich à qui le Roi de Suède demandait, simultanément, de fouiller les Archives de la Colonie à la recherche de toutes « les ordonnances & mesures Relativement à la traite des noirs ou des esclaves, publiées en cette île » (cf. Très humble rapport N° 191)... -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
La demande d'abolition par le Roi de Suède débattue au ParlementUne Lettre du Roi « concernant labolition de lesclavage à Saint-Barthélemy » saisit le "parlement" le 1er octobre 1844. Se basant entièrement sur les écrits du Gouverneur suédois et reprenant ses trois arguments (la notion de propriété, l'accord avec la France de 1784 et lexemple anglais), il a estimé qu'il y avait désormais « des raisons suffisantes » pour « la fin rapide de l'esclavage ». Le Roi nentend néanmoins pas que la Couronne assume seule les charges dindemnisation prévues pour les propriétaires desclaves... Précisons tout de même que ce Roi évoqué jusquici nest plus le même homme : lorsque Haasum signe son Très humble rapport N° 215 le 25 Avril 1844 il ne sait pas encore quil sadresse désormais à Oscar 1er et non plus à son père, Charles XIV Jean ou Bernadotte, qui régnait depuis 1818 et mort le 8 mars 1844 ; une nouvelle quil napprendra que début mai. Depuis 1812, lîle de Saint-Barthélemy était administrée par le Département colonial, un des secrétariats dépendant directement de la Couronne de Suède; et plusieurs fois déjà il avait été clairement exprimé le souhait de se défaire de cette petite colonie devenue onéreuse mais aussi encombrante sur fond desclavage et de traite négrière. En 1845, le Roi de Suède, pour qui le fardeau allait devenir dautant plus lourd étant entendues les sommes préconisées* pour lémancipation, parvint à remettre ladministration de lîle au Département des finances, cest à dire à la charge du "parlement" suédois : Saint-Barthélemy ne ferait donc plus partie du Domaine de la Couronne.
Les débats de 1844-1845 furent demblée lexpression de réticences, notamment à la Chambre des Paysans, où quelques voix se firent entendre pour réclamer la vente de lîle à une puissance étrangère (sujet quelque peu récurent depuis 1817) en posant comme condition au repreneur dy abolir lesclavage. Le « Stats-utskottet » / "Comité du gouvernement" ayant proposé de discuter dune participation à hauteur de 10000 Piastres espagnoles sur trois ans prélevée sur le fonds « Handel och Sjöfart [Commerce et Marine] », une voix à la Chambre du Clergé demanda de ramener cette participation de 10000 à 6000 Piastres espagnoles par an; une autre appelant une nouvelle fois à se débarrasser de cette île, laissant ainsi lémancipation à la charge du nouvel acquéreur. À la Chambre des Bourgeois une voix sopposa tout bonnement à toute émancipation. Il ressortit au final que le fonds de Commerce et de Marine pourrait se remettre de ces dépenses par une future et possible vente de lîle de Saint-Barthélemy. La Chambre des Paysans sopposa quant à elle au dédommagement des propriétaires desclaves pour les sommes indiquées. Enfin, la quatrième Chambre du "parlement" suédois, la Noblesse, considérant que lindemnisation ne devait pas être prélevée sur le fonds de Commerce et de Marine mais sur la Dette Nationale contre une future compensation, rejetait à son tour la proposition en létat. -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
La mise en place d'un comité pour l'évaluationLe dénombrement "brut darchives" de mai 1846 donnait à Saint-Barthélemy une population servile de 513 esclaves pour une population totale de 2605 habitants, se distinguant ainsi :
On sait aussi, en s'appuyant sur les nombreuses études menées par le Centre de Recherche Caraïbes de Montréal, que 72 ménages sur les 267 que comptait la Campagne possédaient alors un ou plusieurs esclaves, de même 55 ménages sur les 197 recensés en Ville. Sur les 481 libres ou esclaves recensés à la Campagne sans distinction sociale (la somme diffère des chiffres "brut darchives" [147+313=460] en raison des corrections apportées post-dépouillements), 55 résidaient au centre de lîle (quartiers du Gouverneur à Saint-Jean), 281 dans les quartiers « Au Vent » (Est) et 145 « Sous le Vent » (Ouest). Les ordres du Roi de Suède furent enjoints dans une Lettre datée du 22 janvier 1846 [non encore localisée] et, ainsi que la écrit Victor Schœlcher, « l'acte libérateur fut promulgué dans l'île avec un règlement fort sage, donné par le gouverneur à Gustavia, le 22 mai 1846, et intitulé: Instructions sur lémancipation graduelle des esclaves », en anglais : « Regulations and Instructions for the Gradual emancipation & Slave appraising Commitee », et dès le dimanche 17 mai les propriétaires desclaves avaient été convoqués pour désigner, le 20, leurs représentants au « Comité démancipation graduelle et dévaluation des esclaves ou « Gradual Emancipation and Slave Appraising Committee » qui fut constitué ce même 22 du mois de mai 1846, à lHôtel du Gouvernement de Gustavia, Saint-Barthélemy, sagissant donc de rétribuer chaque propriétaire desclave(s) au juste prix de son bien. Présidé par le secrétaire du gouvernement, Gustaf Ekerman, qui fut lunique membre désigné par le Gouverneur et qui allait donc "peser" deux voix lors des évaluations à venir (en vertu des dites « Regulations and Instrutions ... »), ce comité était composé de 4 autres membres. À Jonathan Hodge Bryan, échevin, et Moses L. Hassell, tous deux nommés par la Cour de Justice, il était adjoint deux membres élus par les propriétaires desclaves : comme déjà dans lOrdonnance Royale du 6 septembre 1842 on aura ainsi veillé à ce que leurs voix ne soient pas prépondérantes. Comme de rigueur dans ladministration de lîle par les Suédois, on considéra distinctement la Ville de Gustavia dun côté et le reste de lîle de lautre : la Campagne. À la Campagne, vingt procurations furent établies pour ce vote, neuf pour la Ville, donnant souvent directement consigne de vote au mandataire; elles émanaient principalement des quartiers de la Grande Saline et du Grand Fond mais aussi du Marigot, et du quartier de LOrient. Peu de ces propriétaires desclaves de la Campagne savaient écrire et signaient donc dune « marque ordinaire en forme de croix ». De nombreux propriétaires étaient des femmes, surtout en Ville. Les vingt-neuf propriétaires « Voters in Town » portaient à leur tête M. William B. Hodge avec une voix davance sur M. Richard Dinzey ; tandis que les soixante six propriétaires « Votans de la Campagne » préféraient de loin M. Eugène Duchatelard à MM. Antoine S. Delisle et Joseph Bernier, capitaine de la Milice du Vent. À noter que M. Delisle était aussi candidat « in Town ». [Si, pour la Campagne, on peut rapprocher les 66 propriétaires desclaves ayant voté des 72 ménages possédant au moins un esclave répertoriés par le Centre de Recherche Caraïbes de Montréal, le différentiel pour la Ville demeure important : 29 propriétaires ayant voté pour 55 ménages répertoriés... ?]. -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
16 mois de réunions du Comité d'émancipation graduelleConformément à larticle §.4. des instructions, les premières réunions du comité dévaluation commencèrent le 15 juin 1846, et en lespace de 4 jours pas moins de 205 esclaves furent tour à tour examinés. Le comité se réunit par la suite avec une grande régularité jusquen avril 1847, terme fixé le 26 mars par résolution du « Royal Council / Conseil Royal ["conseil municipal" local] » pour les séances dévaluation; les évaluations seffectuaient par série denviron cinquante esclaves à chaque journée de réunion, du moins pour les 6 premiers mois, beaucoup moins par la suite. Chaque réunion sachevait en fixant la prochaine au 15 du mois suivant « or earlier if necessary ». Evaluation ne signifiait pas affranchissement, encore fallait-il que les sommes soient perçues localement pour être redistribuées aux propriétaires qui étaient alors indemnisés par ce qui avait été baptisé « The Royal Compensation Fund » ou l « allocation Royale pour le rachat des esclaves ». Lorsque les crédits arrivaient, par termes de $ 10.000, le gouverneur convoquait alors une réunion du Comité démancipation et dévaluation, afin quil lui soumette une liste desclaves à émanciper. Ainsi, le 20 juin 1846, 120 esclaves seront affranchis contre $ 9.981 payés aux propriétaires par la Suède une fois déduite la contribution des esclaves de $ 809. De même les 2 et 3 octobre 1846, deux réunions du comité dévaluation étaient convoquées, sur ordre du Gouverneur qui informait avoir reçu un nouveau crédit de $ 10.000; il était de même demandé au dit comité de sélectionner parmi les esclaves ayant déjà fait lobjet dune évaluation un nombre donné dindividus, selon les principes édictés par le Roi dans sa Lettre du 22 janvier 1846 : 121 noms, ou plutôt : prénoms, lui furent alors soumis pour un total de $ 10.707 duquel était défalqué la contribution des esclaves à hauteur de $ 697, ainsi arrivait-on à $ 10.010 : une pure opération comptable en somme et différence. Fin octobre 1846, près dun an tout juste avant la proclamation dabolition définitive de lesclavage à saint-Barthélemy, 432 esclaves avaient fait lobjet de l'évaluation et 221 dentre eux avaient dores et déjà été affranchis. Le 16 novembre le comité évalua cinq nouveaux esclaves et le 15 décembre dix de plus. À cette date il est mentionné, pour la première fois, que neuf esclaves, tous évalués dès les premières réunions du mois de juin, sétaient présentés spontanément pour sacquitter de leur « slave contribution » : ainsi la N° 56 (sic) pour $ 10 ; ou pour en régler une partie : la N° 162 avançait $ 4 sur les 5 dus. Le 18 décembre 1846, une résolution du « Royal Council » enjoignait à ce que tout esclave qui navait pas encore fait lobjet dune évaluation, soit déclaré, sous peine de perte du droit dindemnisation. Le 15 janvier 1847, 17 nouveaux esclaves seront évalués et 15 se présenteront eu égard à leur contribution. À noter que lorsque viennent Sandrine, 24 ans, avec sa nouveau-née Rosalie, esclaves du président du comité, Gustaf Ekerman, celui-ci cède sa chaire à M. Uddenberg, nouveau secrétaire du gouvernement, pour présider à lévaluation ; il en sera de même à chaque fois quun membre du comité se trouve concerné, jusquau lien de parenté avec un propriétaire venant faire évaluer son / ses esclave(s). Le 1er février 1847 le Gouverneur informe de nouveau dun crédit de $ 10.000 « in London » pour lannée en cours et les 4 et 5 février une nouvelle liste de 117 esclaves lui sera présentée, « for freedom ». Seront grever du dit-crédit les divers frais du comité démancipation et dévaluation pour lannée précédente (papier, encre, rétribution du rédacteur etc et une cloche). Le 17 février, un « Avis du Gouvernement » convie les esclaves sélectionnés à se présenter le lendemain, 18 février, à midi, dans la rue devant lHôtel du Gouvernement, pour être libérés par son Excellence le Gouverneur, à 1 heure... Il en aura coûté $ 9.899 à la Suède. Les évaluations reprirent donc ainsi jusquau 15 avril, date à laquelle elles furent ajournées jusquà nouvel ordre du Gouverneur ou du « Royal Council », en application de lavis du 26 mars. 514 esclaves avaient alors été évalués et 358 émancipés. Le 17 septembre 1847, le gouverneur James H. Haasum informe de la réception, la veille, dune Dépêche de Sa Plus Gracieuse Majesté, signée du 23 juillet, et notifie que « tout esclave, non encore évalué, appartenant aux habitants de cette île, doit être déclaré et présenté au Secrétaire du Gouvernement dans les 3 semaines, cest à dire : avant midi le vendredi 8 du mois doctobre suivant » et devront faire lobjet dune évaluation dans les règles et dans ce même délai imparti, au delà duquel plus aucun recours ne sera admis et examiné par la Couronne. Il est également « porté à la connaissance de tous ceux à qui il appartiendra que labolition de lesclavage serait proclamée » le 9 octobre : « On Saturday, the Ninth, 9th, of October the abolition will be proclaimed, and Slavery will for ever cease to exist in this Island of Saint Bartholomew, with an exception only of such Slave or Slaves, who in due manner reported and present may at that time remain unpaid for », en souligné dans le texte : une date et une formule choisie par le Roi de Suède. Le 22 septembre, une avant-dernière séance dévaluation fut programmée et 7 esclaves furent examinés ; et dans la foulée, tous les propriétaires desclaves évalués jusque là reçurent leur compensation : $ 14.206, 157 émancipations. On devait rapporter le décès de 6 dentre eux : ceux-là nauront jamais connu la liberté à Saint-Barthélemy. Entre temps des retardataires sétaient donc manifestés, des esclaves absents de la colonie et jusquà des fugitifs y étaient retournés. La toute dernière réunion du « Gradual Emancipation and Slave Appraising Commitee » fut tenue le 8 octobre 1847 et les 8 derniers esclaves de Saint-Barthélemy soumis à évaluation... $ 584. Marie Françoise sétait fait connaître par une requête auprès du Conseil du Gouvernement en date du 29 septembre : propriété de Mons. Jean Mondésir Lédée de LOrient, elle (Mélanie env. 38 ans) avait été vendue le 3 décembre 1844 ainsi que ses 3 filles (Elise env. 16 ans, Reinette env. 13 ans et Catherine env. 11 ans) à la mort de son propriétaire pour un total de 255 gourdes courantes, et ce afin de palier les « pecuniary inconvenients » laissés par ce dernier. M. Ed. Garrain / Garrin qui avait ainsi acheté « his children » (en souligné dans le texte) et les avait manifestement affranchi depuis, nen avait pas fait de même avec Mélanie et celle-ci en était restée à sa condition desclave avec toutefois la promesse verbale dêtre libérée une fois davoir travaillé suffisamment longtemps à son service pour que ces services équivalent à la valeur payée pour son achat. Or il se trouva que le recenseur avait renseigné, en mai 1846, pour la « liste de famille » de M. Edouard Garrin, que ses esclaves avaient été achetés sous conditions de liberté, et cest pour cette raison que Marie Françoise / Mélanie avait été systématiquement déboutée de ses demandes à chaque fois quelle sétait présentée devant le comité dévaluation. Il fallut alors attendre le 8 octobre pour que les assesseurs du recenseur attestent que les esclaves de M. Garrin navaient pas été achetés « avec conditions de liberté »... $ 44.680 voilà au bas mot ce quaura coûté au final à la Suède (hors dépenses du Comité démancipation et dévaluation) la liberté de ses 523 esclaves de Saint-Barthélemy, bien loin tout de même de la fourchette des Ctes $ 97538 à $ 121650 préconisée par le Gouverneur Suédois dans son rapport de mars 1841. -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
Des tableaux de dédommagement des propriétaires pour 529 esclavesLes divers tableaux contenus dans les registres du Comité démancipation et dévaluation, concernant les 529 derniers esclaves de Saint-Barthélemy, ont été "synthétisés" et sont désormais accessibles, sous cette forme. Comme ordonné à larticle §.11. des « Regulations and Instructions for the Gradual emancipation & Slave appraising Committee », ils renseignent par colonne : dun numéro dordre : les esclaves se suivent généralement par lien de parenté ; du nom de lesclave : le plus souvent son prénom ; de son lieu de naissance ; de son âge ; du nom de son propriétaire ; de la précision sur celui qui faisait la demande dévaluation : le propriétaire, le propriétaire et son esclave, ou lesclave lui-même; de sa valeur estimée par le comité ; de sa valeur estimée par son propriétaire ; du montant de la contribution de lesclave, le tout exprimé en $ = Spanish Dollars ; les deux dernières colonnes étaient intitulées : « General conduct and character [Conduite générale et caractère] » et « Health Strenght and ability to work [Santé Force et capacité au travail] » et étaient renseignés « Good », « Passable » ou « Bad » ; et enfin la dernière colonne permettait au comité d inscrire un avis ou des remarques éventuelles. Ces pièces darchives sont particulièrement riches denseignements et ont dailleurs déjà fait lobjet de plusieurs dépouillements : en 1977 tout dabord, par le professeur Hannes Hyrenius de lUniversité de Göteborg, puis dans les années 1980 à 1990 par les chercheurs du Centre de Recherche Caraïbes de Montréal qui ont pu ainsi confronter ces tableaux dévaluation aux recensements pour mieux suivre les évolutions des populations des « libres de couleurs », et des esclaves puis émancipés de Saint-Barthélemy. La sur-représentativité des femmes, surtout en Ville, et le fait quen 1846 environ quarante pour cent des esclaves avaient moins de quatorze ans, avaient ainsi et entre autres, déjà été mis en évidence. Pour en tirer encore ici quelques informations sommaires, en préambule à une étude plus approfondie, on notera surtout quaux jours de leur évaluation, la majorité des esclaves appartenait à des propriétaires provenant de la Campagne et non de Gustavia. La grande majorité de ces esclaves était née, esclaves, sur lîle de Saint-Barthélemy : 71 sur 529 étaient né(e)s ailleurs parmi lesquels 24 avaient été introduit(e)s directement dAfrique ; pour ces 71 cas, la mention « introduced here previously to 1831 » était de rigueur, car 1831 marquait localement lentrée en vigueur dune loi adoptée par le "parlement" suédois en 1830 et instituant la peine de mort pour quiconque serait convaincu de pratiquer la traite, tout en laissant néanmoins la possibilité de commercer des esclaves en lîle même. Lors de lévaluation, les critères « General conduct and character » et « Health Strenght and ability to work » étaient très majoritairement renseignés « Good », quelques fois « Passable » et beaucoup plus rarement « Bad ». Les enfants en bas âge étaient généralement estimés autour de $ 25, les jeunes enfants autour de $ 50, à partir de 15 ans les prix grimpaient au-dessus des $ 110, les adultes valaient jusquà $ 160 mais au-delà des 60 ans dépréciés autour des $ 50, soit au final une moyenne de $ 85,5 par esclave. Les propriétaires en réclamaient généralement un peu moins du double mais rares furent ceux qui contestèrent la somme fixée. Les hommes adultes avaient plus de valeur que les femmes, le contraire chez les enfants. La contribution des esclaves oscillait le plus souvent entre $ 8 et $ 12. L analyse des nombreux tableaux établis par le comité démancipation et dévaluation montre par ailleurs que les valeurs de cette même contribution varient parfois, le plus souvent à la hausse, entre le "tableau dévaluation" et le "tableau de compensation", pour une même case donnée... -----------------------------------------------------------------------------------------------Haut de page
L'esclavage aboli mais...Les proclamations d'abolition du Gouverneur suédois de Saint-Barthélemy furent suivies, ce 9 octobre 1847, de deux lettres exprimant toute la gratitude, dune part des émancipés de la Ville, en anglais, et de lautre en français des émancipés de la Campagne; signées de neuf croix de la main et treize paraphes de vingt-deux émancipés de la Ville et de vingt croix de la main de vingt émancipés de la Campagne. À noter, au bas de ces lettres, que ceux-ci accolent majoritairement à leur prénom le nom de leur ancien propriétaire. Si en 1846 larticle §.6. des « Instructions sur lémancipation graduelle des esclaves » indiquait explicitement quil navait pas été prévu de fonds propres pour pourvoir à léducation et à laide des futurs émancipés, ce fut chose faite par un Règlement de 13 articles en date du 11 janvier 1848, de la main du Roi Oscar, statuant de la création dun « Emancipation - Poor - Committee » chargé de venir en aide aux esclaves émancipés les plus pauvres et den déterminer les bénéficiaires. Lhistoire ne se finit donc pas là, et les recensements de 1853, 1854 et jusquen 1857 de toujours distinguer 3 colonnes, intitulées A, B et C... sous-entendues : « Whites », « Coloured » et « Emancipated » ; et les émancipés dêtre par la suite "pistés" par un petit "é" dans une dernière colonne sans titre, et ce jusquau tout dernier recensement suédois de décembre 1872 ; soit plus de vingt-six ans après labolition de lesclavage à Saint-Barthélemy et moins de six ans avant la rétrocession de lîle à la France. Il reste encore beaucoup à faire pour connaître en détails le sort exact qui leur fut réservé, et faire aussi toute la lumière sur cet exode qui fera par la suite de lîle de Saint-Barthélemy cette « perle normande des Caraïbes » bien connue des médias... Une recherche scientifique des plus complexes et pour laquelle les chercheurs du Centre de Recherche Caraïbes de Montréal ont en leur temps baissé les armes ; « Le jumelage des mentions desclaves comportait des difficultés énormes et restait incertain. Bien que je les aie en bonne partie jumelés, linvestissement quexigeait la mise à jour du fichier et surtout son exploitation était trop élevé... » devait avouer François Nault, dans son mémoire de maîtrise : Structure et cycle de vie des ménages de la population rurale blanche à Saint-Barthélemy de 1840 à 1854. Bibliographie (abolition de l'esclavage & Saint-Barthélemy)
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